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Education Générale et Sociale (Suisse - Jura)


Leçon de Morale (Belgique)

Je suis tombée par hasard sur une émission de la RTBF qui montrait un documentaire réalisé par
Jacques Duez, enseignant de morale, qui a filmé pendant près de 30 ans les différentes interactions avec différents élèves. Jacques Duez est malheureusement décédé dernièrement (le 4 février 2010) à l'âge de 65 ans.

Il existe bon nombre de documentaires créés par cet enseignant bourlingueur et philosophe.
  • Les Temps des enfants
  • Babebibobu
  • Les enfants de l'année blanche (suite à l'affaire Dutroux en Belgique)
  • Journal de classe (en 5 documentaires)
    1. Premières audaces
    2. Les échappés
    3. Sexe, amour et vidéos
    4. L'enfant nomade
    5. Remue-méninges
  • la Belgique dans tous ces états

Je cherche encore comment me les procurer (en prêt ou à l'achat)

Jacques Duez, 5 juillet 2007

(source)
Durant une bonne partie de mon enfance, j ’ai songé sérieusement à devenir tout à la fois, pape, gangster et accordéoniste. Hélas, passée la fascination pour le business de Pie XII et les mauvaises manières d’Al Capone, je me suis lâchement résigné à des choix plus ordinaires. Marchand de carabouillas, conducteur de train, coiffeur pour dames, curé de campagne et gynécologue ont été, à une certaine époque, des métiers que j’aurais aimer exercer.

Après l’école secondaire, une incursion dans une école de cinéma, un engagement à la marine marchande, le service militaire, un mariage, l’adoption de trois enfants, un voyage à Cuba, une année passée à peindre et à sculpter, la rencontre avec Jean Auverdin, instituteur, ami de Célestin Freinet, allait réorienter ma vie.

Au regard de sa pratique professionnelle, je pris conscience qu’un instituteur pouvait être, dans l’exercice même de son métier, un créateur au même titre qu’un peintre, un sculpteur ou un poète. Il m’apparaissait qu’il lui était loisible de produire une oeuvre équivalente, du point de vue de l’invention, a une oeuvre d’art. Convaincu par cet exemple que je pouvais gagner ma vie sans pour autant me résigner à la perdre, de retour de mon périple cubain, je m’inscrivis, à 25 ans, en 1968, à l’École Normale de l’État à Mons.

Je débutai, l’année suivante, comme professeur de morale laïque, dans de petites écoles rurales où régnaient sans partage les professeurs de religion catholique qui, non sans une certaine condescendance, abandonnaient à la laïcité les quelques petits misérables restés sourds à l’appel du divin. Dès le début, je fus assommé par l’ennui de devoir répéter au fil des heures, au fil des jours, un nombre incalculable de fois, la même leçon qui se concluait immanquablement par la même petite morale a recopier aux cahiers. Chacun de ces cahiers se révélait être une anthologie stupéfiante de fantaisies graphiques et orthographiques, chacune de ces anthologies différait de toutes les autres par le choix de ses extravagances. Mes pauvres certitudes grammaticales s’ envolaient, mon orthographe devenait un patchwork de tous leurs délires et moi, un scaphandrier du dictionnaire. Dans le même temps, je prenais conscience que je n’éprouvais aucun plaisir à tenter de formater ces enfants dans des conduites auxquelles, à l’école ou à la maison, ils ne se conformaient que par capitulation. Leur résistance me touchait davantage que leur reddition. J’y voyais l’occasion de débattre, argument contre argument, de la pertinence ou non de leurs opinions et des miennes. C’est alors que, non sans une certaine angoisse, je découvrais mon inaptitude à mettre en scène les savoirs que j’étais cens e enseigner selon les conceptions de 1’ Education Nationale.

De plus en plus intrigué, fasciné par les conversations des cours de recréation, je me mis a enregistrer et, quelques année plus tard, à filmer, systématiquement, chaque jour, les bavardages, les cancans, les conciliabules, les parlers de rues, les expressions drôles et inventives, totalement différentes de celles qui se conjuguaient en classe et dont le souci de la bonne forme requérait l’attention des enfants au point qu’ils en oubliaient que la langue était avant tout le medium par lequel pouvait s’exprimer la singularité de chacun. Et c’était cette singularité, précisément, qui me captivait et que, sans plus me soucier de la méthodologie apprise à l’Ecole Normale, je me suis mis à questionner et à archiver.

En y réfléchissant aujourd’hui, je serais tenté de dire que c’est mon incapacité à travailler selon la règle apprise qui m’a amené a mettre en place cette pratique de l’entretien enregistré et filmé. Pratique que j’ai expérimentée pendant trente ans. Les exemples où un handicap devient une source d’invention foisonnent. Chacun peut éprouver cette façon de faire qui consiste à oser une procédure inhabituelle, voire même incongrue, pour mener à bien telle ou telle tâche qu’une incompétence, supposée ou réelle, semblait devoir en compromettre la réussite. Je crois profondément que nos manques, nos lacunes et nos erreurs sont des aubaines pour la manifestation de notre génie. La stratégie à laquelle nous avons recours pour résoudre un problème posé peut, à l’occasion, passer du statut de l’astuce a celui de la méthode. Jusqu’au jour où une autre ingéniosité viendra a son tour la détrôner. On sait que d’avoir été gazé durant la première guerre mondiale, Célestin Freinet, revenu dans sa classe, contraint par la nécessité d’atténuer ses crises d’essoufflement, mit en place des techniques de travail qui, tout en le soulageant, le conduisaient à se libérer du rôle tutélaire de l’instituteur et permettaient la répartition dans la communauté des élèves, des responsabilités et des rôles que les uns et les autres pouvaient assumer dans la recherche, la collecte et le partage des savoirs et des savoir-faire. Sans aucun doute y avait-il, au préalable, chez cet homme, une philosophie de l’existence qui rendit possible l’émergence de cette démarche qui devait aboutir à l’élaboration de sa méthode. Le comportement pédagogique d’un enseignant n’est-il pas l’expression de sa culture politique, poétique et philosophique de l’existence ?

Marc Alain Ouaknin rapporte que Rabi Isaac Louria, au XVIème siècle, s’était posé la question : « Comment peut-il y avoir un univers Si dieu est partout ? » Il concluait que dieu avait dû entreprendre un retrait en lui-même afin de libérer l’espace nécessaire à l’émergence de notre univers. Voilà un bon exemple proposé par une divinité - une fois n’est pas coutume - que pourrait suivre tout enseignant. En se mettant en retrait, ne permet-on pas a la parole de l’enfant de prendre la place qui lui revient ? Ne lui reconnaît-on pas le même droit et la même capacité qu’à soi-même d’exprimer du sens ? En agissant ainsi, l’enfant ne devient-il pas notre égal dans son aptitude à dire le vrai tel qu’il lui semble et notre égal en droit et en fait, d’expérimenter et d’éprouver sa singularité ?

« Ne demande pas ton chemin à qui le connaît, tu ne pourras plus t’égarer » dit le philosophe. Or, cette notion d’égarement, qu’est-elle d’autre que la démarche de tout créateur, de tout inventeur d’idées ou de formes qui se hasarde hors des tracés désignés, imposés ? Et que faisons-nous trop souvent, nous, enseignants, parents, éducateurs, sinon, sans cesse et sans relâche, indiquer à chacun la route à suivre et la même pour tous !

On me fera remarquer que telle opération mathématique, telle règle de grammaire, tels principes moraux ne peuvent être différents pour chacun, qu’il y a une universalité de certains savoirs et de certaines valeurs que nous devons reconnaître au risque de babeliser nos rapports avec les autres. Il n’en demeure pas moins vrai que chacun de nous réagit différemment à ces savoirs, à ces valeurs, et que c’est cette différence qui me semble constituer l’unicité de l’apport de chacun dans le concert des énoncés. Ne serait-ce pas cela la contribution irremplaçable de chacun à l’histoire des hommes ? Des auteurs aussi éloignés l’un de l’autre que le poète Armel Guerne l’était du philosophe J.P. Sartre s accordent pour affirmer, le premier : « Je fais mon chemin seul et c’est le seul chemin pour tous. », le second « Je suis un homme et chaque homme doit inventer son chemin. ». C’est dire l’importance que revêt et pour le poète et pour le philosophe l’invention de soi, la mise en oeuvre de son tracé propre. Je considérerais volontiers tous les savoirs comme autant de partitions musicales qu’il nous revient d’interpréter selon la sonorité particulière de notre instrument et la singularité de notre génie. On dit interpréter et jouer une partition, c’est dire que la langue laisse entendre qu’il y a dans la confrontation à l’œuvre un agir qui convoque à la fois un savoir-faire, une gaieté, un bonheur à entreprendre pour que l’œuvre se révèle et prenne sens. Pas plus qu’une oeuvre, un savoir n’a de valeur en soi. L’un et l’autre ne font sens que dans l’usage que nous en faisons. Aussi, plus nous laisserons à chacun la liberté d’en jouir et de le représenter selon son génie propre et plus nous permettrons que de nouvelles propositions inouïes, inattendues, viennent nous enrichir.

J e me souviens de ce jour où une petite fille, Véronique, s’ installa en classe avec le souhait de nous lire quelques-uns de ses poèmes., Après avoir tenté de nous faire apprécier deux textes dont l’originalité n’était pas la qualité première, elle nous offrit un impromptu sur... sa crotte.
Oh mon caca !
Avec tes brillants et ta robe brune,
Je te connais bien,
Je te fais tous les jours !

Après l’étonnement et les rires, force nous était de constater que Véronique ne nous livrait pas son texte par provocation ou pour l’épate mais, tout simplement, qu’elle souhaitait nous associer à sa vision de ce qui était son fait quotidien. Il fallait de la naïveté mais aussi de la vaillance pour contempler cet objet si peu poétique et cependant prendre plaisir et intérêt à l’examiner avec candeur en tentant, sans effusion, de mettre des mots sur cette matière innommable. Cette naïveté n’ était-elle pas celle qui permettait au poète Francis Ponge de tout reprendre à zéro, de n’avoir aucun a priori, la moindre chose pouvant révéler d’elle des qualités inédites ? Sûr, Véronique n’était pas Francis Ponge mais elle faisait montre de bravoure en transgressant les règles de la bonne conduite et en prenant le risque d’être moquée, d’apparaître comme une petite sotte prenant plaisir à des rêveries peu ragoûtantes. Il n’y a pas d’invention sans audace, sans prise de risques. Le sérieux de la discussion qui s’en suivit montra que ce qui pouvait apparaître comme insignifiant se révélait être un sujet de discussion possible. Ce parti pris de la chose, aussi incongru avait-il été, réapparaissait quelques mois plus tard, lorsqu’un petit garçon, reliant l’audace de Véronique aux audaces d’artistes tels que Arman, Alechinsky et Bury la désignait, au même titre que ces créateurs, comme une échappée des autoroutes de la pensée qu’empruntent les foules.

Le fondement de la démocratie, rappelle Jorge Luis Borges, est ce dialogue auquel le premier venu a la liberté de participer en acceptant le caractère qu’il présente depuis l’antiquité grecque, à savoir cette exceptionnelle vertu de créer la communication civilisée entre les hommes, qui permet de s’opposer au dogme en prenant en considération les diverses opinions avec courtoisie sans avoir besoin de s’assassiner. Michel Meyer, quant à lui, note que l’étonnement face aux énigmes que posent les collections d’évidences quotidiennes diffusées, distribuées comme vérités par la société, l’école et la famille, fait naître le questionnement et les différents discours recherchés comme moyens de les affronter, de les résoudre et de les évacuer.

En me rendant attentif à l’enfant discourant devant moi, je me donnais quelque chance d’appréhender sa façon singulière de s’étonner et peut-être comme l’écrit Jeanne Hersch à retrouver ma capacité d’étonnement dans l’étonnement d’autrui et de me dire : Oui, c’est bien ça, comment se fait-il que le ne me sois pas encore étonné a ce sujet ?

Nos entretiens filmés, organisés en vidéogrammes, indépendamment de l’utilisation au sein de la correspondance scolaire, ont très vite été diffusés sur les antennes de différentes télévisions communautaires, sur les antennes nationales et ont parfois bénéficié d’une diffusion internationale sur Arte, TV 5 etc. C’est dire que ce travail, plutôt que de rester confiné dans le carcan de l’école, se donnait à voir et à entendre dans la cité, dans le pays et dans le monde. Dès lors, la place qu’occupaient ces enfants au sein de la famille, de l’école et de la société n’était plus tout à fait la même. Participant directement au débat public, leurs énoncés prenaient une importance inattendue. Ecoutés comme auteurs de propositions sensées auxquels se référaient et dont débattaient des personnes dont les savoirs dépassaient largement les leurs - et les miens - les enfants se voyaient dotés d’un statut auquel ils n’auraient jamais imaginé pouvoir prétendre. On comprendra, dès lors, que la camera, très vite, a été perçue comme une alliée précieuse. Grâce à elle, il était conféré à ces entretiens une valeur ajoutée difficilement comparable à toute reconnaissance qui n’aurait été vécue qu’au sein du cadre scolaire.

Certains ont qualifié ces entretiens de philosophiques. J’avouerai ma réticence. La philosophie réclame une rigueur que n’ont certainement jamais eu nos échanges. Tout au plus pouvais-je espérer que ces conversations, ces bavardages, ces cancans, tels qu’ils étaient menés, susciteraient chez certains le désir de s’engager dans une habitude de penser de plus en plus rigoureuse, de plus en plus exigeante. Par ailleurs, si la dimension psychologique de la démarche était naturellement présente, elle ne devait, en aucune manière, prétendre traiter des cas. L’agir thérapeutique nécessite une formation à la maîtrise d’un savoir et d’un savoir-faire qui ne sont pas les miens. Mais, en aucune façon, cet état de fait n’empêchait le plaisir de la conversation, le bonheur de parler de soi, le besoin d’énoncer son étonnement de sa présence parmi les hommes. De tout temps, à la campagne, pour qui s’intéressait, à des fins curatives, aux vertus des plantes, peu importait qu’il put les désigner de leur nom latin ou qu’il fut en mesure d’en énoncer les composants chimiques. Ce qui comptait, c’ était le juste choix des simples pour le soulagement de la souffrance qu’il s’était assigné de traiter. Appelons cela de la médecine ou non, cela ne change rien au fait que cet herboriste pouvait aider les gens de sa communauté a vivre mieux. Sans oublier que l’étude amenait cet homme à explorer, à observer et à interroger cette nature à laquelle il se sentait appartenir et du sein de laquelle il prélevait ses remèdes. Pour sûr qu’au cours de ces randonnées en solitaire, des étonnements et des questions sur la place, les relations, le sens et la finalité de toute chose pouvaient, à l’occasion, affluer a son esprit. Était-ce de la philosophie ou de simples propos adressés a soi ? Qu’importe ! Si, de retour parmi les siens, cet homme, d’une réflexion mûrie au cours de sa promenade, pouvait soulager un ami de son inquiétude ou ébranler les certitudes de tel autre - qui s’en retrouvait d’un coup tout méditatif -, ne donnait-il pas tout simplement du sens a sa vie et à celle de sa collectivité ? Dira t-on de cet homme qu’il était à la fois un thérapeute et un philosophe ? N’importe quel échange peut susciter un soulagement ou nous amener a nous interroger sur nos conduites. Dirons-nous à chaque fois qu’il s’agit de thérapie ou de philosophie ?

Pourquoi ne pas tout simplement les entendre comme des conversations entre amis soucieux de se comprendre et de comprendre les autres pour un mieux vivre ensemble ?



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